Prédication disponible en format audio.

« Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs, pour qu’ils se convertissent » (Lc 5,31-32). Ainsi parle l’Amour aux pécheurs, un Amour totalement pur, inconditionnel, toujours offert dans la seule recherche du Bien de l’autre, de notre bien à tous, quelle que soit notre situation, fut-elle la pire qui puisse exister… Nous avons tous été créés par ce Dieu qui, en tout son Être n’Est qu’Amour (1Jn 4,8.16), et qui, à ce titre, ne peut que rechercher et rechercher encore le meilleur pour tous les hommes qu’il aime, quels qu’ils soient, où qu’ils soient, quoiqu’ils fassent… « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés… Voilà ce qui est bon, ce qui lui plaît » (1Tm 2,3-6). Certains se laissent ainsi rejoindre au cœur de situations inextricables, situations qu’ils ont pu créer eux-mêmes en commettant l’irréparable… Ainsi Jacques Fesch, ce jeune qui rêvait de partir sur un bateau, et qui, pour avoir l’argent, n’hésite pas à s’attaquer à un marchand d’or bien connu de son père. Mais il ne tape pas assez fort sur sa tête pour l’assommer, et ce dernier donne l’alarme… Jacques part alors en courant, perdant ses lunettes dans sa course, et il est très myope… Dans la panique, il se saisit de son révolver dans la poche de son imperméable, et tire au jugé vers un policier qu’il abat en plein cœur… Rattrapé, ce sera pour lui la prison, le procès, la condamnation à mort, l’exécution le 1° octobre 1957. La peine de mort ne sera abolie en France qu’en 1981…

En prison, Jacques Fesch rencontre le Père des Miséricordes, le Dieu plein de Tendresse, Celui qui ne cesse de nous appeler à partager la Plénitude de sa Vie, et cela pour notre seul bonheur… Il se repent, il accueille le pardon de toutes ses fautes, et se laisse ainsi conduire jusqu’au Ciel… A son avocat qui le prévenait de sa prochaine intervention auprès du président de la République René Coty pour demander sa grâce, il répondra : « Elle me sera refusée… Je reçois en ce moment les grâces de ma mort »… Ecoutons son témoignage. Il nous est précieux pour nous qui cheminons cahin-caha sur le chemin de la conversion…

« Oui, c’est lui qui m’a aimé le premier alors que je n’avais rien fait pour mériter son amour… J’essayais de croire par la raison, sans prier ou si peu ! Et puis, au bout d’un an de détention, il m’est arrivé une douleur affective très forte qui m’a fait beaucoup souffrir et brutalement, en quelques heures, j’ai possédé la Foi, une certitude absolue. J’ai cru et ne comprenais plus comment je faisais pour ne pas croire. La grâce m’a visité, une grande joie s’est emparée de moi et surtout une grande paix. Tout est devenu clair en quelques instants. C’était une joie sensible très forte que j’ai peut-être trop tendance à rechercher maintenant alors que l’essentiel n’est pas l’émotion, mais la foi…

Je m’aperçois que la foi est vraiment un don de Dieu. On croit par le cœur, sans savoir pourquoi, et sans même chercher à savoir. La certitude intime qui vous emplit suffit. L’amour est le plus fort…

Je sens maintenant une nouvelle force en moi, une certitude absolue que mon seul salut et devoir est de me donner entièrement à son Amour. Mais j’y arrive encore bien mal ; il est dur de se désengluer de tous ses vices…

Voici que Dieu est maintenant le seul qui compte. Il est au centre du monde… Il m’envahit tout entier et ma pensée ne peut plus éviter Sa rencontre. Une main puissante m’a retourné. Où est-elle, que m’a-t-elle fait ? Je ne sais, car son action n’est pas comme celle des hommes, elle est insaisissable et elle est efficace ; elle me contraint et je suis libre, elle transforme mon être et je n’ai pourtant pas cessé de devenir ce que je suis. Puis la lutte est venue, silencieusement tragique entre ce que je fus et ce que je suis devenu. Car la créature nouvelle qui a été greffée en moi implore de moi une réponse à laquelle je reste libre de me refuser. J’ai reçu le principe, il me faut passer aux conséquences. Mon regard a changé, mais mes habitudes de pensée et de conduite n’ont pas changé : Dieu les a laissées là où elles étaient. Il me faut abattre, adapter, reconstruire les installations intérieures et je ne puis être en paix que si j’accepte cette guerre. Je suis moi-même émerveillé et étonné du changement que la grâce a opéré en moi. Comme le dit Claudel, « l’état d’un homme qu’on arracherait d’un seul coup de sa peau pour le planter dans un corps étranger, au milieu d’un monde inconnu », est la seule comparaison que je puisse trouver pour exprimer cet état de désarroi complet. J’ai trouvé la paix, mais en même temps la lutte, lutte perpétuelle qui me fait progresser et plus je progresse, plus je m’aperçois de ma misère et du chemin infini qu’il me reste à parcourir. Si je reste stationnaire, je redescends. Dans cette expérience principale qui vient de bouleverser ma vie, je découvre pour finir une exigence permanente de réforme spirituelle. La conversion engendre un esprit, et cet esprit m’apprend que la religion n’est pas le confort, mais qu’elle sera toujours en un sens une conversion. Mais Dieu est là ; en Lui, j’ai la force d’apercevoir et d’accomplir ce que je dois être, à son image. Il associe ma prière à Sa volonté. La vocation qu’il me donne suscite une invocation que je lui adresse »…

 

Prions avec lui : « Je n’arrive plus à prier convenablement ; mon esprit vagabonde par-delà les murs et les grilles, et je ne puis fixer mon attention sur quoi que ce soit. Il y a huit ou dix mois, j’ai déjà traversé une crise pareille, même pire, et lorsque j’ai retrouvé mon ardeur, je l’ai retrouvée avec plus de force. Dieu veut probablement me faire comprendre que ce qui m’a été donné n’est pas dû à mes mérites, comme j’aurai eu tendance à le croire, mais n’est qu’un don gratuit qui procède de sa miséricorde. Puisse-t-il, tout indigne que je sois, avoir pitié de ma solitude et me combler de sa grâce »…

 

Diacre Jacques Fournier