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La prière de la messe de ce 23 décembre nous apprend à demander à Dieu le progrès dans la connaissance de son mystère : « Accorde-nous, Dieu tout-puissant, de progresser dans l’intelligence de ton mystère, à l’exemple du prêtre saint Jean de Kenty, et de trouver auprès de toi le pardon en faisant preuve de miséricorde ».
Au XVe siècle, saint Jean de Kenty (1390-1473), était un prêtre polonais, passionné de philosophie et de théologie à l’université de Cracovie où il était professeur. En lui, la connaissance académique allait de pair avec la lumière de la charité, qu’il exerçait au service des pauvres. Il se laissait aussi enseigner par le Christ au cours des pèlerinages accomplis dans la pénitence et l’écoute intérieure de l’Esprit Saint. C’est ainsi qu’il se rendit à Jérusalem pour vénérer le tombeau du Christ et à Rome, la ville des martyrs, saint Pierre et saint Paul.
Le dictionnaire en ligne Robert propose les synonymes suivants pour cerner le contenu du mot « progrès » : nouveauté, mieux, plus grand, développement, évolution, amélioration, perfectionnement, croissance, avancement, marche, montée, propagation, ascension, essor, cheminement. Quant au mot « vérité », le Robert le définit comme la connaissance conforme au réel, opposée à l’erreur, à l’ignorance ou au mensonge.
Saint Thomas d’Aquin définit la vérité comme l’accord des choses et de nos pensées : « Veritas est adaequatio rei et intellectus ». Dans son ouvrage « Contra Gentiles », le Docteur Angélique présente la vérité comme « la fin et le bien de l’intelligence, et par conséquent la première vérité en est la fin dernière. Connaître la première Vérité qui est Dieu est donc la fin de tout homme, de toutes ses activités, de tous ses désirs ».

À partir d’Aristote, il voit dans la vérité le bien de l’intellect et son bonheur. Mais pour saint Thomas d’Aquin, « la substance divine est la vérité elle-même ». « Dieu est la vérité ». La vérité ne se confond pas alors avec des vérités partielles et éphémères.
« Veritas » est bien la devise de l’Ordre des prêcheurs. Elle figure dans les écussons dominicains et dans les mosaïques des couvents dominicains comme c’est le cas pour la salle capitulaire du couvent de Marseille.
Fils de saint Dominique et de saint Thomas d’Aquin, le père Marie-Joseph Lagrange O.P. a vécu la passion pour le Christ, Vérité : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 6). La connaissance représente l’accueil de l’objet connu en soi. Quand il s’agit de Dieu, c’est la vie même de Dieu qui entre dans le sujet connaissant. La connaissance apporte une certaine union à ce qui est connu. Par la connaissance, l’homme s’unit à Dieu. Dans la foi chrétienne, cette connaissance de Dieu passe par la médiation du Verbe fait chair, d’où l’importance de l’étude de la révélation et plus particulièrement de l’Évangile : « Nul n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, l’a fait connaître » (Jn 1, 18).
S’il fallait choisir un mot pour définir l’esprit de l’exégèse du père Lagrange, il me semble que ce serait le mot « progrès ». Dès son discours inaugural de l’École biblique de Jérusalem en la fête de son saint patron de baptême saint Albert le Grand, le 15 novembre 1890, le père Lagrange annonce sa vision de l’exégèse et la mission de l’École. Il ne s’agira pas d’une pédagogie de la répétition mais de grandir dans la connaissance de la vérité : « Il y a [dans la Bible] en histoire, en philologie, en archéologie, en morale, des problèmes qui ne seront pas de longtemps résolus, et qui nous touchent de si près que leur intérêt ne faiblit pas. Dieu a donné dans la Bible un travail interminable à l’intelligence humaine et, remarquez-le bien, il lui a ouvert un champ indéfini de progrès dans la vérité. Car ce que j’admire le plus dans la doctrine catholique, c’est qu’elle est à la fois immuable et progressive. Pour l’esprit ce n’est pas une borne, c’est une règle. Elle s’impose à lui, mais elle sollicite son activité ; elle aime être examinée de près parce qu’elle se sait sans reproche : les grandes intelligences qui ont fait éclater le cadre étroit de tant de religions, se trouvent à l’aise dans ses limites, et peuvent se livrer à loisir à leur passion dominante, le progrès dans la lumière. La vérité révélée ne se transforme pas, elle grandit. C’est une évolution, mais une évolution qui a pour cause première le Dieu révélateur, pour point de départ les dogmes, pour appui l’autorité de l’Église. C’est un progrès, parce que les acquisitions nouvelles se font sans rien enlever aux trésors du passé . »
Dans son commentaire à l’Évangile selon saint Jean, le père Lagrange souligne que la vérité religieuse est une vérité en marche : « La vérité, même religieuse, est toujours en marche, ce qui ne veut pas dire qu’elle cesse d’être ce qu’elle a été : elle se développe. Jésus voulait mettre ses disciples en garde contre une rigidité dans leur enseignement qui eût été en opposition avec tout le mouvement normal de l’humanité ».
Dans une lettre envoyée au père Vosté en 1928, dix ans avant sa mort, le père Lagrange partage aussi sa vision de la progression historique des études bibliques à la lumière de son expérience personnelle : « Après ma mort, peut-être rendra-t-on justice, non pas à mes livres trop hâtifs, mais à l’impulsion donnée ».
Puisse notre vie apporter cet élan de l’amour qui ne passera jamais comme le dit saint Paul dans l’épître aux Corinthiens : « La science passera mais la charité demeure toujours » (1 Cor 13, 8).
