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« Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). C’est dans ces termes que Jésus annonce sa mort. Le grain de blé qui disparaît en terre évoque aussi le don total de Jésus au Père et aux hommes.
Jésus est le Fils unique du Père. Tout son être est engendré par le Père dans l’éternité qui ne connaît pas le temps. Jésus se reçoit du Père. La vie du Père est don total à son Fils. Le Père n’existe que donné au Fils dans le Fils.
Le croyant en Jésus reçoit la consécration baptismale pour grandir dans la foi et l’amour en tant que fils de Dieu, dans le Fils unique, Jésus le Christ. Il est bon de rappeler que la plus grande consécration dans l’Église est le baptême. Les prêtres, les religieux et les religieuses sont appelés « consacrés ». Ils déploient la grâce pascale du baptême dans leurs diocèses ou congrégations de manière radicale par les conseils évangéliques d’obéissance, pauvreté et chasteté. Le pape Pie XI disait : « Le jour le plus heureux de la vie d’un pape c’est le baptême. » Évêque et pape, il l’était au service du Peuple de Dieu. C’était une charge à porter et une mission à accomplir. Baptisé, c’était son titre de gloire qui le faisait partager la vie du Christ ressuscité. Les religieux vivent leur consécration baptismale à la manière de leurs fondateurs : saint François, saint Dominique, saint Ignace, la bienheureuse Anne-Marie Javouhey … Tous les baptisés sont appelés à la sainteté. La différence ne réside pas dans le niveau de vocation mais dans le « comment », dans la manière de mettre en œuvre le mystère pascal de mort et de résurrection.
Les chrétiens ont pour vocation la vie filiale. C’est pourquoi le Notre Père resplendit comme la plus belle prière. La tentation du diable est d’éloigner le baptisé de sa relation filiale avec le Père par le Fils Jésus en l’amenant à croire que Dieu s’oppose à son épanouissement et à sa liberté. Le diable fait alors miroiter le sentiment de puissance qui vient de l’avoir, du pouvoir et du paraître. Si le baptisé succombe à la tentation diabolique il lâche « la proie pour l’ombre », comme dit le proverbe. Il sent alors ses forces divines reçues gratuitement s’en aller pour retomber dans une froide solitude. L’homme qui écoute le diable rêve de devenir plus libre ; il devient seul. L’enfer n’est rien d’autre qu’une immense solitude, un vide sans Dieu.
Il est vrai que l’homme désire la puissance. Dieu la lui donne en réponse à sa foi. Mais il s’agit non pas d’une volonté de domination mais de la puissance de l’amour. Aussi le président de l’eucharistie s’adresse-t-il à Dieu le Père dont l’amour est tout-puissant pour éviter l’ambiguïté d’une volonté de puissance qui ne serait pas respect et don total et inconditionnel : « Dieu a tant aimé le monde qu’Il lui a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3, 16).
Tout l’effort de l’homme pour se convertir repose sur le mystère pascal de Jésus qui a perdu sa vie pour la retrouver dans la résurrection, don du Père. Se convertir veut dire devenir fils, ne pas chercher à voler Dieu ou à se révolter contre lui, mais accueillir la grâce du Père selon la volonté de Dieu et non d’après la volonté propre de la personne repliée sur elle-même qui veut se rendre heureuse sans recevoir le bonheur de Dieu : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi » (Lc 15, 31), déclare le père de la parabole de l’enfant prodigue au fils aîné qui ne comprend pas la réception fastueuse organisée par son père lors du retour de son frère cadet qui a dépensé sa fortune avec des prostituées.
Les sentiments humains s’avèrent ambivalents. Nous voulons le bien mais le mal nous attire. Nous aspirons à la lumière mais les ténèbres et la mort nous fascinent. Nous désirons Dieu mais l’orgueil demeure en nous : « Ni Dieu ni maître ». « L’orgueil meurt un quart d’heure après la mort », semble-t-il.
La conversion suppose un travail difficile sur nous-mêmes. Nous n’avons pas un rapport transparent à nous-mêmes. Le cœur de l’homme, compliqué et malade, ressemble à un ordinateur rempli de virus qui détraquent son fonctionnement. L’apôtre saint Paul constatait en lui-même la force du péché originel qui lui faisait accomplir le mal qu’il ne voulait pas faire et ne pas faire le bien qu’il souhaitait accomplir. L’apôtre des nations se reconnaît alors malheureux dans ce combat intérieur pour le Christ et contre le mal et le Malin (cf. Rm 7, 24).
Dans la presse « people », à la mode, les stars sourient devant les photographes et les caméras. L’amour humain est présenté soit comme un bonheur sans failles soit comme un échec total qui aboutit à la séparation.
Le Seigneur Jésus nous apprend à aimer. Aimer c’est difficile. Vivre ensemble dans la famille, l’entreprise ou la cité politique, c’est compliqué. Jésus nous apprend à « réussir notre vie » dans le don de nous-mêmes, ce qui est fort différent de « réussir dans la vie » selon les critères des béatitudes publicitaires : « Heureux ceux et celles qui brillent avec leur corps et leurs richesses ; malheur à ceux et celles qui sont gros, pauvres et vieux ! »
L’aventure mystérieuse de la foi exige la lutte journalière contre la division et la contradiction intérieure de notre cœur.
Happés par les modèles médiatiques qui font miroiter un bonheur sans Dieu, obtenu par la puissance de l’argent, l’homme contemporain se retrouve souvent dépassé par la vitesse de l’évolution sociale et économique, fragile face aux exigences de réussite mondaine, stressé et angoissé. Sous des allures de facilité, le bonheur sans Dieu ou contre Dieu, se montre rapidement cruel envers ses supporters. Les jeunes en sont les premières victimes prises au piège de la société de consommation.
En réalité, le chemin que Jésus nous propose finit par apporter un bonheur durable et profond. La vie chrétienne commence par des exigences pour aboutir à la douceur et à la plénitude. Le bonheur sans Dieu débute dans la facilité pour retomber dans le malheur et la mort : « Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle » (Jn 12, 25).
Élevé de terre, c’est-à-dire élevé sur la croix, élevé à partir de la croix vers la gloire de son Père, Jésus attire tous les hommes à lui.
Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus avait choisi l’image de l’ascenseur pour parler de l’élévation de sa petitesse vers la grandeur de Dieu par Jésus.
Prions :
Seigneur Jésus, tu es le seul à pouvoir me tirer des profondeurs de la mort vers la lumière de ton Père devenu mon Père.
Fais-moi aller vers toi. Sois mon guide et mon salut.
Frère Manuel RIVERO
Chemin de Carême, Dimanche 22 Mars 2015