Prédication disponible en format audio.
1 – L’esclavage à Babylone et le retour d’exil
L’histoire de la Réunion est intimement liée à celle du peuple hébreu à travers l’esclavage subi par chacun des deux peuples. Pour les descendants d’Abraham, une des servitudes les plus traumatisantes a été imposée dans les années 500 avant Jésus Christ à Babylone (actuel Irak) ; elle a duré une bonne cinquantaine d’année avant un retour progressif de cet exil. Le tube à succès du groupe disco Boney M, « By the rivers of Babylon » (1978) en est un écho direct. Tel est aussi l’objet de la première lecture et du psaume de ce dimanche : capture du peuple juif par Nabucodonosor et libération par un autre roi Cyrus. Dans notre île, l’esclavage a duré plus longtemps, moins de 200 ans, jusqu’à la fameuse date de l’abolition en 1848, qui nous vaut un jour férié le 20 décembre. Pour célébrer une libération ou faire ses courses de Noël ?! Mais c’est là une toute autre question.
Etre esclave : sa plainte monte vers Dieu dans le psaume du jour : « Au bord des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions, nous souvenant de Sion ; aux saules des alentours, nous avions pendu nos harpes. » Pour la version disco, cf. donc la chanson du groupe Boney M. Essayer de survivre en tant qu’esclave : quelle malédiction ! Mourir, subir, résister, ou fuir comme ‘marron’ (terme créole pour désigner un esclave en fuite). Durant cette épreuve, dans notre île, un métissage s’opérait, dont notre langue créole en est un des fruits. A Babylone, le métissage pouvait amener à la perte de l’identité et de la religion juives, celle de l’Alliance avec le Dieu unique au profit des dieux locaux.
Une interrogation lancinante hante les opprimés : « Seigneur, quand surgira ta libération ? Jusqu’à quand patienter ? » A Babylone, il a fallu attendre deux générations, une bonne cinquantaine d’années. A la Réunion, moins de deux cent ans. Et la délivrance est arrivée de part et d’autre. Pour les Juifs, grâce au roi perse Cyrus, le vainqueur des oppresseurs babyloniens. Quelle leçon retirer de la Parole de Dieu ? Que celui-ci n’abandonne jamais son peuple ! Il réalise ses promesses, tôt ou tard. C’est le « tard » qui peut rendre l’épreuve si difficile. Pourquoi Dieu n’intervient-il pas plus tôt ? Mais la chronologie des événements est connue de Dieu seul. Une certitude est donnée par l’histoire du salut biblique : tôt ou tard, Dieu sauve, Dieu libère de manière ultime et décisive en renversant ici la malédiction de l’esclavage. Il l’avait déjà fait par le passé en libérant de l’oppression de pharaon, en faisant traverser la Mer rouge. Voilà pourquoi St Paul affirme aujourd’hui : « C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, et par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. »
Plus tard, à Pâques, Jésus renversera une autre malédiction, plus grave : celle de la mort, pour nous en sauver et donner la vie éternelle. Jésus en parle aujourd’hui dans son dialogue avec le pharisien Nicodème.
2 – La résistance en Pologne
Pendant sa rencontre nocturne avec lui, Jésus dévoile à Nicodème que tout homme qui croit dans le Fils de Dieu reçoit la vie éternelle. Et Jésus insiste : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. » Jésus le réaffirmera plus tard avec la réanimation de Lazare : « Quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » (Jn 11, 26).
Qu’est-ce que la vie éternelle ? Tout d’abord, c’est de croire en la Trinité qui se révèle à nous de manière totale en nous révélant enfin le nom précis de Dieu. Jésus dit : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul véritable Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17, 3). Ensuite, la vie éternelle, c’est de vivre heureux de manière parfaite les uns avec les autres, avec notre Créateur et Sauveur. C’est être intégré dans la vie intime même de la Trinité. Contrairement à ce qu’avait écrit le philosophe pessimiste Sartre « L’enfer, c’est les autres », Dieu nous révèle ici que « Le paradis, c’est les autres ! » Jésus déclare ainsi : « Je leur ai donné la gloire que tu m’as données pour qu’ils soient un comme nous sommes uns : moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient parfaits dans l’unité » (Jn 17, 22-23). Par contraste, la vie éternelle prend le contre-pied de la tentation initiale d’Adam et Eve : « Moi, heureux sans toi. » La vie éternelle consiste alors à découvrir : « Moi, heureux avec toi. »
La découverte de ce don ne va pas sans combat, abordé jeudi dernier le 12 mars. Jésus le mentionne encore aujourd’hui à travers les mots « ténèbres », « mal », « détester ». Le chrétien doit donc s’engager dans cette lutte. Un exemple émouvant de cette haute résistance spirituelle nous est donnée par le père Jerzy Popieluzko assassiné en 1984 par le parti communiste polonais. Né en 1947 dans une famille paysanne modeste, à la scolarité chaotique, peu de personnes auraient parié sur sa vocation. Mais pendant ses années de lycée, il envisage de devenir prêtre, alors que le régime politique est athée. Il réussit à entrer au séminaire à 18 ans avant de partir pour son service militaire, dans une unité spéciale qui regroupe les séminaristes pour mieux les harceler et les dégoûter de la religion. Le père Jerzy en gardera de graves séquelles physiques, mais l’aide de Dieu lui permet de tenir bon jusqu’à la fin de son encadrement militaire.
Ordonné prêtre en 1972, il choisit comme phrase d’ordination : « Dieu m’envoie pour prêcher l’Evangile et panser les plaies des cœurs blessés. » Malade lui-même, il réalise que Dieu accomplit des miracles par sa faiblesse. Aumônier de jeunes, en milieu médical, auprès d’étudiants, et en paroisse, le cours de sa vie connaît un tournant lorsqu’il est nommé en 1980 accompagnateur des ouvriers travaillant aux acieries de Varsovie. Cette même année, un syndicat ouvrier indépendant du pouvoir apparaît : Solidarnosc, dont le chef n’est autre que Lech Walesa. Le développement de ce syndicat est fulgurant, le bras de fer avec le pouvoir communistes est tendu. Pendant ce temps, le père Jerzy s’occupe de la formation des ouvriers, tout en célébrant des messes pour eux. Ses homélies sont vigoureuses et il incarne rapidement « l’âme de la résistance spirituelle » de la Pologne.
Il échappe à plusieurs attentats, placé également en garde à vue à de nombreuses reprises, jusqu’à ce vendredi fatal du 19 octobre 1983. Enlevé par la police secrète, il est torturé puis assassiné et son corps jeté. Mais son bourreau avouera son crime et une tombe digne pourra lui être donnée. Le 6 juin 2010, il est déclaré bienheureux. Sera-t-il saint ? Les choses sont en bonne voie, grâce à un miracle survenu en France dans le diocèse de Créteil. Sa canonisation fait partie des événements attendus lors des prochaines journées mondiales de la jeunesse en Pologne à Cracovie en 2016 ! (source : FC n° 1922, 15 au 24 novembre 2014)
Père Pacsal CHANE TENG
Chemin de Carême, Dimanche 15 Mars 2015