Il y a un vieux chant liturgique qui est en réalité un psaume chanté et dont mon plus jeune frère m’a parlé il y a quelques années. Le refrain est “Ma lumière et mon salut c’est le Seigneur, Alléluia.”. Ce refrain est resté dans la mémoire de mon frère et quand il m’en a parlé, il y avait effectivement comme une lumière attachée à ce souvenir. Pourtant mon frère ne fréquente pas beaucoup l’Église…

Parfois la Parole de Dieu a ce pouvoir de rester dans le cœur de l’homme pour faire son effet ou manifester son effet le moment venu. Cet effet, sa mission, est de conformer toujours plus l’Homme à Dieu pour qu’il soit toujours plus à Sa ressemblance et de le faire entrer en communion avec la Sainte Trinité.

Ce pouvoir de la Parole donne toute sa mesure quand elle est au cœur de la Liturgie, la célébration de l’amour entre Dieu et ses Créatures. Notre vocation à tous, même les non chrétiens (dont les genoux fléchiront bien un jour, cf. Ph 2,10, celui de Jésus s’étant déjà fléchi devant tout homme (Jn 13,1-17), est de participer à une liturgie céleste dans l’Éternité de Dieu (Ap 4-5). Or nous commençons cette liturgie céleste dès lors que nous participons à une liturgie terrestre qui procède de cette liturgie céleste. Qu’est-ce qui fait qu’une liturgie terrestre procède d’une liturgie céleste ? C’est le fait que sa première fonction est que Dieu y soit honoré. Sa deuxième fonction est qu’elle fasse entrer l’homme dans les échanges de la Sainte Trinité. C’est aussi pour ces deux raisons que la liturgie eucharistique est la plus parfaite forme liturgique que nous puissions vivre sur cette terre. Elle est la liturgie par excellence (c’est à dire qu’elle n’exclut pas d’autres formes liturgiques mais elle les dépasse). Ce que je vous écris là peut être vérifié par l’expérience et dans l’enseignement du Magistère.

Cela dit, pourquoi la Parole n’a pas nécessairement ces effets de conformer l’Homme à Dieu, de lui redonner vie alors que le Seigneur nous dit lui-même que ses paroles sont Esprit et Vie (Jn 6,63) ? Parce qu’elle est manipulée à des fins personnelles comme l’est d’ailleurs trop souvent la liturgie. La Parole, ou plutôt les mots qui la forment, peut être manipulée (cf. Lc 4,9-11).

Les rivalités entre hommes du type de celles dont parle Saint Paul aux Corinthiens, sont parfois visibles mais pas nécessairement. C’est parce que ces rivalités ne sont pas nécessairement visibles que je vous invite à lire le dernier livre de Pascal Ide sur les personnes narcissiques. Ce livre s’intitule “Manipulateurs”, aux éditions de l’Emmanuel. Tout est déjà dit. Pascal Ide est prêtre mais également médecin et psychologue. Aussi ce livre permet de cerner les tendances narcissiques de l’homme et de voir que ces tendances peuvent également devenir ou être des structures de personnalités et même les fondements de réseaux humains. Pascal Ide y donne des exemples de personnes en vue de l’Eglise qui ont été condamnées pour des faits graves objets de scandales. Il y décrit également les tendances narcissiques spécifiques des laïcs et des clercs et leurs formes. La lumière faite dans ce livre sur cette réalité, est je crois une des suites à donner à la dénonciation de Saint Paul. Lisez ce livre pour voir à quel point la Parole ne parle pas que du passé. Vous pourrez y trouver tantôt des lumières sur vous-mêmes, tantôt sur des membres de l’Église, annonce Pascal Ide. Il précise que parfois, soi-disant au nom de la paix ou de l’unité, les personnes narcissiques font taire les voix qui mettent la lumière sur ces réalités. Saint Jean Baptiste n’est pas le seul à y avoir laissé sa tête…

 

La tendance narcissique de l’individu est à mon sens une des plus grandes conséquences du péché originel. Son paroxysme est le démon, qui ramène discrètement tout à lui, jalouse la Gloire de Dieu, détruit ceux qui s’opposent à lui et, nous y arrivons, manipule la Parole de Dieu.

Le seul attachement à la Parole n’est pas un gage de vérité et de fécondité. L’épisode de la tentation au désert nous le rappelle : Satan connait et utilise la Parole (Lc 4,9-11). Or, il faut défricher l’homme pour y retrouver Dieu ou sa capacité de communier à Dieu. Il faut être purifié comme l’or au creuset…

Si le livre de Pascal Ide est avant tout une étude psychologique, il y aborde également des façons de vivre en Église avec ces réalités narcissiques qui font la manipulation. Ces tendances sont graves et dangereuses mais elles nous rappellent que c’est l’humilité qui appelle la grâce et que l’humilité nous mène toujours à laisser la première place à Dieu : “Qui est comme Dieu ?”

Mais pour revenir à l’évangile, si les pêcheurs d’hommes d’aujourd’hui rentrent souvent bredouilles ou presque, certainement faut-il qu’ils se remettent (ou qu’ils se mettent) à pêcher humblement le poisson, au sens propre, dans la mer, afin d’apprendre à remettre Dieu à la première place, et Marie l’Étoile de la mer à la sienne. Le vrai pêcheur en mer est nécessairement humble et observateur des signes de la Création… Et il n’accuse pas le poisson de tous ses maux. Ce serait le symptôme d’une petite tendance narcissique-manipulatrice. Car même s’ils sont en situation de pêcheurs d’hommes, comment s’étonner que nombre de chrétiens ne soient pas perdus ou compromis dans notre monde dont les réseaux et structures sont très largement narcissiques voire pervers narcissiques?

Jésus savait ce qu’il faisait en appelant d’abord des pêcheurs : l’humilité permettra d’accueillir la Parole et d’accoucher de la vraie liturgie en quelques siècles. En d’autres mots, L’Église construite sur d’humbles pécheurs et pêcheurs, va accueillir et discerner là où est la Parole, et en même temps, va accueillir la forme déployée de la célébration eucharistique avec de nombreuses nuances au long des premiers siècles.

Finalement, la Parole en prenant chair s’est donnée à nous dans le même élan de fragilité et de dépendance que l’Enfant dans la crèche et que Jésus Eucharistie dans l’Église ; Comment s’étonner que nous soyons responsables de lui permettre de porter du fruit ? Comment s’étonner que cela passe par la reconnaissance de notre misère présente en nos tendances narcissiques, bénignes ou graves, cachées ou pas, instituées ou pas.

En tout cas, c’est aussi grâce à la Liturgie et à la Parole que mon frère a été marqué d’Éternité. Merci Seigneur.

Bonne suite à cette réflexion.

Bonne lecture, bonne Messe, bonne pêche.

 

Richard CLAUSE