Prédication disponible en format audio.

Nous voici arrivés à la veillée de Pâques 2015 ! Le Missel romain, càd le livre qui contient toutes les prières pour célébrer la messe, en décrit le déroulement : Après un rite d’action de grâce pour la lumière (1ère partie), la sainte Eglise, confiante en la parole et la promesse du Seigneur, médite les merveilles que, depuis les origines, celui-ci a réalisées pour son peuple (2e partie). Aux approches du matin de la Résurrection, avec les nouveaux membres qui lui sont nés par le baptême (3e partie), elle prend place à la table que le Seigneur lui a préparée par sa mort et sa résurrection (4e partie).

En commençant par le feu qui brille dans le « fénoir » (terme créole pour dire ‘obscurité’), avec nos cierges allumés, la liturgie nous fait vivre la condition des hommes. En effet, notre pèlerinage est parfois laborieux. En scrutant le cierge de Pâques qui entre en procession dans l’église, nous découvrons Celui qui se révèle et qui choisit de vivre avec nous dans notre fénoir : Jésus qui se donne pour notre salut. Dans le miracle de l’aveugle-né proclamé le 4e Dimanche de Carême lorsqu’il y a des catéchumènes, notre Maître prononce sa fameuse phrase : Je suis la lumière du monde (Jn 9, 5).

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Ensuite, nous choisirons plutôt aujourd’hui une méditation générale sur la 2e partie de la célébration, celle qui contient les lectures bibliques. La prière introductive nous en donne la trame profonde :

Frères et sœurs, nous voici entrés dans la veillée sainte : écoutons maintenant d’un coeur paisible la Parole de Dieu. Voyons comment, dans les temps passés, Dieu notre Créateur a sauvé son peuple, et comment dans les temps qui sont les derniers, il nous a envoyés son Fils comme Rédempteur. Demandons au Seigneur de conduire jusqu’à son plein achèvement cette œuvre de salut inaugurée dans le mystère de Pâques.

Comment Dieu a-t-il sauvé son peuple dans le passé, et pourquoi Jésus est-il notre Rédempteur ? Formulons avec d’autres mots l’affirmation de cette prière introductive à la liturgie de la Parole. Contre la spirale infernale des vices-bassesses-péchés-corruptions qui se répètent partout et en tout temps pour vivre et survivre, Dieu se donne pour mission de renverser ce cercle vicieux pour transformer les malédictions en bénédictions, pour changer la mort en vie. Tel est le salut. Le réflexe premier de l’homme est : « Dieu reste loin de moi. Je dois gagner mon salut et ma protection à la force de mes bras. » Mais Dieu révèle, et ce n’est pas une invention de la part des hommes, qu’Il intervient directement pour notre salut, puis personnellement en Jésus. Toute l’histoire de l’Ancien Testament montre qu’Il entre dans l’histoire des hommes, jusqu’à devenir l’un d’entre eux par solidarité et folie d’amour : Jésus Christ.

Autrement dit, la relecture des événements bibliques et historiques montre que la réalité et les apparences ne coïncident jamais. C’est ce qu’enseigne la professeur Costa Curta dans la section de théologie biblique à l’université de la Grégorienne (Rome) : il faut découvrir la réalité de Dieu au-delà des apparences des hommes, et au fil du temps. L’événement immédiat peut correspondre à une épreuve ou un grave péché, par exemple : la jalousie et le mensonge (Adam et Eve ; Jacob ; Joseph et ses frères) ; la maladie du pouvoir entraînant des homicides (les roi Saül, David, Salomon, Achab) ; l’esclavage (Egypte, Babylone).

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Mais la suite chronologique des faits prouve l’action salutaire de Dieu qui fait capoter la malédiction en bénédiction, dieu qui transforme la mort en vie : le pécheur est pardonné (Adam et Eve, le roi David) ; le condamné est sauvé (Joseph, Moïse, la reine Esther) ; le perdant devient gagnant et la jalousie familiale surmontée (Jacob, Joseph) ; l’homme sans enfant et la femme stérile deviennent parent (Abraham et Sarah, Rachel) ; l’homme sans terre trouve une stabilité (Abraham) ; l’esclave est libéré. De manière suprême, la pire malédiction, la mort, est vaincue par le Christ pour nous donner la vie éternelle.

Tel est le message de grâce de l’Ancien et du Nouveau Testament. La première lecture de la veillée de Pâques commence par Genèse 1. En ayant la création du monde en arrière-plan, découvrons l’action de Dieu à travers Genèse 3 avec Adam et Eve.

Car l’histoire du couple originel est l’exemple type du péché et de sa transformation par Dieu en salut. Tout d’abord, la grâce et les dons de Dieu sont déformés par le langage ironique et insultant du serpent. Le mensonge flatte ici la tendance de l’homme à vouloir dominer son prochain : c’est la logique de la loi du plus fort. Dans un moindre mal, c’est se mettre en avant pour se faire valoir. De plus, le mensonge utilise une arme toxique invisible : l’oubli des bienfaits de Dieu qui avait pourtant placé le couple originel dans un paradis. L’oubli, c’est ne pas rendre grâce comme Marie lors de l’Annonciation.

Un hyper-narcissisme pathologique montre son nez : le mal naît de l’homme, qui est en même temps victime d’un mystère du mal qui le dépasse. Deux attitudes s’opposent ici : reconnaître sa condition de créature pour servir et louer Dieu avec bonheur ; ou refuser son amitié, même en croyant en Lui, pour s’enfermer dans la prison de ses calculs humains. Dans le second cas, la réalité et l’amitié avec Dieu sont travesties : Dieu peut penser une chose, mais l’intelligence de l’homme le porte à faire et croire autre chose, même en ayant parfois la foi. C’est le doute et ma propre volonté opposés à la confiance en Dieu. La confiance s’illustre par la capacité de vivre ensemble. Au contraire, l’hyper-narcissisme entraîne une difficulté à collaborer et à travailler ensemble. Nous pouvons sur ce thème nous référer à un ouvrage paru en septembre 2014 : Le bal des ego, par le Dr Schmitt, psychiatre au Chu de Toulouse.

Le renversement de situation proviendra de l’initiative de Dieu. Le salut est gratuit. La méthode de Dieu est remarquable : une communication douce et non-violente. Adam, où es-tu ? Que nous pouvons traduire de la manière suivante : Où en es-tu avec toi-même, dans le contrôle de tes désirs et la construction de ton identité ? Le dialogue entamé par Dieu vise à faire confesser la faute par son auteur afin qu’il puisse vivre un authentique chemin de purification et de vérité sur lui-même. Confesser n’est pas culpabiliser, mais entrer en profonde vérité sur soi. Voilà pourquoi Dieu utilisera la même méthode avec le roi David après son adultère, par le biais du prophète Nathan (2 Sam 11-12). Dans un premier temps, le dialogue avec Adam ne fonctionne pas. Au contraire, le péché augmente, le mal engendre le mal car Adam rejette la faute sur sa femme, et Eve accuse le serpent. Dans un profil narcissique pathologique, ce n’est jamais ma faute, mais toujours celle de l’autre.

Cependant, la bonté de Dieu va se manifester de manière éclatante : il leur donne une seconde chance et ce qu’ils ont recherché : sa puissance et son intelligence. En ouvrant leurs yeux (Gen 3, 7), Dieu fait découvrir à Adam qu’il sera aussi créateur par son travail.    Eve donnera la vie et sera co-créatrice comme Dieu. Mais leurs ‘pouvoirs’ seront vécus dans le mystère de la vie sur terre : avec ses sueurs et ses douleurs. Le jardin ne donnera plus de fruit automatiquement, le travail pourra devenir fatiguant. La vie des hommes est dorénavant blessée.

Adam et Eve ont voulu devenir comme Dieu à travers leur péché. Leur désir mal construit les a amenés sur un chemin de perversion et de malheur qui semble encore trop dominer de nos jours. Dieu contre-attaque par un renversement des événements. Vouloir être Dieu leur sera paradoxalement donné par le pardon divin, mais dans le mystère de la vie humaine. La souffrance et la fatigue sont la preuve qu’ils ne peuvent être dieu par eux-mêmes et qu’ils sont appelés à ne plus pécher. Dieu les a fait entrer dans un processus éducatif afin de les aider à changer de comportement et devenir davantage adulte. Ils doivent prendre acte de leur faiblesse et de leur condition mortelle afin de reconnaître qu’ils ont besoin des grâces de Dieu, c’est-à-dire de son salut.

A travers le dialogue avec Dieu, le signe du péché devient le lieu de la grâce : voilà le grand basculement. L’histoire d’Adam et Eve se termine donc bien. Derrière les apparences du drame, il faut apprendre à lire la réalité de Dieu qui annonce ici la suite des événements bibliques et leur issue dans le Christ.

Sur la Croix, Jésus n’est pas une simple victime de la violence ; il récupère toutes les malédictions des hommes pour les transformer en pardon. A la trahison, il répond par le libre don de sa vie et de l’amour. Le péché est pardonné : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34). C’est cela l’expérience de Pâques, la merveille que nous célébrons en cette nuit sainte : le mal et la mort semblent être plus forts, mais ils sont finalement vaincus par Dieu pour nous ! La lettre aux Hébreux résume bien ce renversement définitif du péché par le sacrifice du Christ :

Voilà pourquoi il est médiateur d’une Alliance nouvelle, afin que sa mort ayant eu lieu pour racheter les transgressions de la première Alliance, ceux qui sont appelés reçoivent l’héritage éternel promis … Or, c’est maintenant une fois pour toutes, à la fin des temps, qu’il s’est manifesté pour abolir le péché par son sacrifice. Et comme les hommes ne meurent qu’une fois, après quoi il y a un jugement, ainsi le Christ, après s’être offert une seule fois pour enlever les péchés d’un grand nombre, apparaîtra une seconde fois – hors du péché – à ceux qui l’attendent, pour leur donner le salut (Heb 9, 15.26-28).

Père Pascal Chane Teng

Samedi Saint,  4 Avril 2015