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Ce 1er dimanche de Carême nous présente Jésus au commencement de sa mission : il est dans le désert et affronte le diable à travers 3 tentations. Jésus en sortira vainqueur, mais le combat a été rude ! Les trois tentations peuvent être résumées par ces trois mots : voir, pouvoir, avoir. Chaque mot peut correspondre à un animal : le paon, le papangue et le cochon. Le problème ne sera pas mon désir, mais d’essayer de repérer comment il peut déraper et me rendre malheureux.
1 – Commençons par la tentation du voir, symbolisée par le paon. En faisant la roue avec les plumes de sa longue queue et en bombant le torse, le paon cherche à séduire. Le diable suggère à Jésus de se donner en spectacle, de se faire voir, bref d’être vantard et superficiel devant les hommes. Ce péché se greffe sur le désir naturel d’être reconnu et aimé. C’est le caractère excessif d’être valorisé qui pose problème : J’aime m’écouter parler, je veux avoir toujours raison. Le renard de la fable de la Fontaine avait ainsi caressé les plumes du corbeau en ce sens afin de lui voler son fromage. De manière plus subtile, je peux par exemple déraper dans la tentation en me vantant d’avoir souvent fréquenté du beau monde, du beau linge : telle personne politique, tel homme d’affaires. Voilà des gens qui comptent, plus que les autres ! Ou bien : Tu sais, le maire est un homme charmant – Comment le sais-tu ? – Oh, pardon, je ne te l’avais pas dit ? Je l’ai rencontré au marché forain hier. Autrement dit, j’aime parfois ME mettre en avant avec les gens qui semblent être riches et puissants.
Quelle est la solution du Christ ? Ne pas mettre Dieu à l’épreuve. Il s’agit de réorienter son désir vers plus de simplicité et de confiance en Lui de afin de ne pas chercher notre gloire auprès des hommes, mais auprès de Dieu, seul capable de nous glorifier. Jésus dit : Père, glorifie-moi pour qu’à mon tour je puisse te glorifier (Jn 17, 1). Les saints ont réussi à transformé leur vanité par ce désir d’être glorifié par la sainteté de Dieu.
2 – Continuons par la tentation du pouvoir, symbolisée par le papangue. Comme l’aigle, cet oiseau rapace, local, repère le petit ‘tangue’ du haut du ciel pour fondre sur lui et l’emporter dans ses griffes. Cette tentation est la plus dangereuse de toute. Elle rejoint celle d’Adam et Eve citée aujourd’hui dans la 1ère lecture de la messe : vouloir être plus fort et plus puissant que l’autre, la soif de dominer et de toujours gagner. C’est le piège dans lequel est tombé le couple originel qui a eu du mal à maîtriser son désir : ils avaient tout pour être heureux car Dieu leur avait donné le paradis et une capacité de désirer … qui a dérapé. Le diable propose ici à Jésus d’être le maître le plus puissant de tous les royaumes de la terre si Jésus se prosterne devant lui, si Jésus accepte d’éliminer Dieu pour adorer le diable.
Pour nous aujourd’hui, cela vise par exemple cette volonté de tout maîtriser pour soi, de vouloir toujours garder l’initiative et la maîtrise des gens et des choses, voire abuser d’eux. J’ai toujours raison. Si l’autre n’arrive pas à partager mon point de vue, c’est lui qui a tort, il est même de mon devoir de l’éliminer. En outre, je ne supporte aucune critique envers ma personne, ou bien je ne supporte que les remarques positives. Un tel comportement rejoint le narcissisme : je vis dans mon univers, je me considère un peu comme le nombril, non pas du monde, mais de mon couple, ma famille, ou de mes amis. Dans la vie spirituelle, c’est le péché de l’orgueil, le plus grave de tous. Lucifer avait chuté à cause de ce péché. Dominer et en imposer à l’autre, sans vouloir, ou sans pouvoir être vraiment à l’écoute. Et le problème commence lorsque j’ai précisément du mal à écouter, à accepter mes émotions, c’est-à-dire à sentir intérieurement que cette attitude me rend triste et bloqué. L’orgueilleux tient à garder son self control, il se barricade pour masquer les mouvements de son cœur qu’il considère comme une marque de faiblesse. Il veut tout maîtriser et ne dépendre de personne.
Plus tard, Jésus retrouvera cette tentation fondamentale pendant sa passion et au jardin de Gethsémani : il sait que Dieu le Père peut le délivrer en envoyant une légion d’anges. Mais il préfère vivre jusqu’au bout sa solidarité avec nous en demeurant homme parmi les hommes, et partager notre faiblesse la plus grave, la mort, tout en se remettant au Père : Que ta volonté soit faite, et non pas la mienne.
Quelle est la réaction du Christ face au diable ici ? Contre sa parole destructrice et manipulatrice, Jésus oppose vigoureusement la Parole de vie de Dieu : Tu adoreras Dieu seul. Parole contre parole. Il s’agit ainsi de convertir et de purifier notre désir dominateur. Une première solution consiste à pratiquer la vertu opposée au narcissisme : la simplicité, l’humilité qui s’acquiert vaillamment à petit pas. Il faut du courage pour se construire une identité adulte qui dépasse le caprice. Par exemple en acceptant une parole qu’on n’a pas choisie et qui nous frustre car elle contient une part de vérité. Il ne s’agit pas d’accepter l’humiliation par masochisme, mais de rejoindre l’humilité du Christ, d’abord à Noël dans la crèche. Il donne l’exemple en s’abaissant et en devenant serviteur (Ph 2, 6-11). Au 20e siècle, le pape Pie X avait demandé qu’on ne l’applaudisse plus dans la basilique St Pierre en expliquant : « On n’applaudit pas un domestique dans la maison de son patron. » L’humilité et la discrétion, ce n’est pas enfouir les talents offerts, mais de les reconduire régulièrement par la louange à leur source : Dieu. Si Marie ne succombe pas à l’orgueil de porter le Sauveur du monde, c’est parce qu’elle vit ce qu’elle chante : Magnificat, mon exalte loue le Seigneur.
Dernier conseil spirituel face à cette tentation du papangue : méditer, regarder la Croix du Christ. Elle nous rappelle que Dieu est à l’origine de notre vie, nous le remercions devant la croix, ainsi que pour toutes les bonnes choses qu’il nous donne. C’est l’action de grâce. Regarder le Crucifié, c’est contempler Celui qui se donne et qui est donné par le Père, pour apprendre à quitter la logique de l’égoïsme narcissique. Dans le chemin de croix, Jésus tombe par trois fois : il assume pleinement notre vulnérabilité, il ne craint pas de perdre la face devant les hommes. Par sa croix et son humilité, il nous guérit du péché de vanité.
3 – Terminons par la tentation de l’avoir, symbolisée par le cochon, liée intimement aux deux autres péchés. Le diable propose à Jésus de changer des pierres en pain et de s’en contenter. C’est le comportement du cochon, ventre et museau sans cesse collés au sol, recherchant en permanence sa nourriture. Il illustre ce désir sans frein d’accaparer comme l’avare, de gagner toujours et encore. J’ai et j’en veux encore plus ! J’exige. Nous retrouvons la problématique d’Adam et Eve : le paradis ne suffit pas, il faut encore plus de bonheur, et moins de place à l’Autre, Dieu. Ce n’est pas désirer qui pose problème, il est bon de posséder, le bon sens l’exige pour notre sécurité et notre vie ici-bas. Mais notre désir peut déraper vers les tentations suivantes : l’attachement obsessionnel à l’argent, le désir d’avoir sans cesse de nouveaux biens en sacrifiant à la mode et la nouveauté, l’absence de générosité. Pire encore, la cupidité est facilement liée à l’abus de pouvoir et de sexe : Amour, gloire et beauté. Un des signes de ce problème est le fait de se tracasser régulièrement pour des questions d’argent et d’hésiter à donner. Jean Pliya, dans son livre Donner comme un enfant de roi, propose un test pratique pour vérifier si l’argent ne domine pas trop nos pensées : « Quelles sont mes réactions lorsque, après avoir acheté un article, je découvre le même objet bien moins cher dans une autre boutique ? … Est-ce que je me plains, me lamente et rumine jour et nuit ma déception … ? Ou bien est-ce que je me tourne vers le Seigneur pour le louer de ce qui vient d’arriver et pour le commerçant qui a gagné ? » Bref, il s’agit de vivre un certain détachement en apprenant à perdre, pour gagner devant Dieu.
Quelle est la réaction du Christ face au diable ? Il oppose à nouveau l’arme de la Parole de Dieu : c’est elle qui donne le vrai bonheur en Dieu. L’argent est un bon serviteur et un mauvais maître. Mais tout ce qui sort de la bouche de Dieu comble l’homme et ne le déçoit jamais. C’est un trésor, un bon investissement pour la vie. Enfin, en priant devant la croix, Jésus nous montre qu’il a accepté de perdre sa vie, de tout donner (Jn 5, 13). Lui qui était riche, il se fait pauvre pour nous enrichir de l’amour de Dieu (2 Co 8, 9). Il s’agit donc de vivre une Pâque de notre désir, afin de passer à une offrande de soi.
En conclusion, nous pouvons approfondir ces thèmes par deux livres. Le premier du père Pascal Ide, Les 7 péchés capitaux, ou ce mal qui nous tient tête, aux éditions Mame-Edifa. Le second du père Bernard Ducruet, Le combat spirituel, Ed. des Béatitudes.
Tout le combat spirituel ne consiste donc pas à tuer notre désir, mais à le réorienter. Ce décentrement est une Pâque, un vrai combat, mais le Christ l’a vécu avant nous et l’a déjà gagné pour nous ! Maintenant, confions-nous à Dieu en terminant par cette prière :
Dieu notre Père, donne-nous ta force et ta lumière dans notre combat spirituel.
Nous te demandons aussi l’aide de notre saint patron, de Marie, Joseph et de tes archanges, afin de pouvoir progresser vers toi par une vie plus droite et fidèle
par Jésus Christ ton Fils notre Seigneur et notre Dieu, qui règne avec toi et le Saint Esprit, amen.
Père Pascal CHANE-TENG
Méditation du dimanche de Carême, le 09 mars 2014