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Il est tout à fait sain et saint d’aspirer à un grand idéal.

            Mais ce serait un piège de rêver d’un idéal parfaitement déconnecté de la réalité. Comme il est difficile de maintenir cette juste tension entre un idéal auquel il ne faut pas renoncer, et l’accueil serein de nos pauvretés. Notre Transfiguration est pourtant à ce prix.

            Léonie a réussi ce retournement rare qui consiste à s’accepter sans s’appesantir sur soi‑même, à aspirer aux sommets spirituels sans nier ses lourdeurs. 

            Elle écrit à ses trois sœurs :

            « Pauvre petite ignorante que je suis, je ne fais que balbutier en osant parler de choses aussi sublimes, mais je vous fais part humblement de mes très faibles lumières qui ne peuvent venir, il me semble, que de Celui qui s’abaisse vers l’humble et le console. Que je suis loin cependant de l’idéal que je veux atteindre en ce qui concerne l’humilité, avec le secours du bon Dieu, j’y arriverai, je l’espère ».

 

            Il y a de fortes chances pour que certains traits marqués de notre nature nous accompagnent jusqu’à la fin de notre vie. Le Maître spirituel de Léonie, Saint-François de Sales, va jusqu’à dire que « notre amour-propre ne mourra qu’un quart d’heure après notre mort… »  Ça calme !

            Mais, lorsqu’on s’aime, comme c’est le cas entre les sœurs MARTIN, on peut avoir une grande liberté dans le partage et les confidences. Ainsi Pauline se montre très directe avec Léonie :

            « Va à Jésus par la confiance et l’amour, ne pleure pas sur des imperfections que tu garderas toute ta vie, cela ne sert à rien du tout, c’est du temps perdu. »

 

            Léonie a beaucoup souffert de son infériorité. Avec le temps et sa vie d’union à Dieu, elle a accepté cet état de fait, et son cœur est devenu paisible. Alors, elle dit :

            « J’ai beaucoup souffert de mon infériorité. J’ai senti très vivement l’isolement du cœur, de tout… à présent, (grande grâce) de la retraite, son fruit très délicieux, c’est à peine si tout ce fatras vient effleurer mon âme » !

 

            Elle aurait pu capituler, elle venait d’avoir trente deux ans. Eh bien non ! Le 28 janvier 1899, elle fait un quatrième essai de vie religieuse. Celui-ci sera le bon :

            « En entrant, écrit-elle à ses trois sœurs, j’étais bien un peu émue, mais pleine de confiance et mon premier mot après m’être jetée dans les bras de ma tendre Mère fut celui-ci : « Je sortirai d’ici mais dans mon cercueil ».

            Lorsqu’on touche du doigt à ses propres failles, comme ce fut le cas pour Léonie, la pente est facile pour tomber dans le complexe d’infériorité. L’impression d’être dévalorisée, elle l’a connue.

            « Enfin, sœurs chéries, si vous me trouvez bien, je me trouve bien aussi, car la toute petite se sent si pauvre, si inférieure à vous, sous tous rapport », écrit-elle à ses sœurs.

            Ce qui est admirable chez cette âme, et ce qui en fait toute sa grandeur, c’est qu’elle n’entretenait aucune jalousie, aucun ressentiment. Par exemple, Léonie ne boude pas, n’envie pas sa petite sœur Thérèse le jour de sa prise d’habit, le 10 janvier 1889, alors qu’elle-même vient de vivre un second échec dans la vie religieuse.

           

            Elle ne jalouse pas non plus ses autres sœurs, toutes réunies au Carmel de Lisieux :

            « Je t’embrasse, ma petite maman avec une tendresse inexprimable, écrit-elle à Pauline, ainsi que nos deux petites sœurs qui ont la joie de pouvoir t’embrasser réellement puisqu’elles vivent avec toi. Quel privilège ! Mais bien loin d’être jalouse, je m’en réjouis parce que je les aime plus que moi. »

            Elle nous donne au passage un secret de bonheur : lorsqu’on ne cherche plus à capter le prochain, lorsqu’on aime les autres pour eux-mêmes – « Je les aime plus que moi-même » -, que de tempêtes intérieures évitées et que d’aisance dans la vie relationnelle.

            Un événement en dit long sur sa victoire obtenue avec les années. Sur la fin de sa vie, elle eut la grande joie, comme ses sœurs Carmélites, d’assister au triomphe grandissant de la petite dernière, Sainte Thérèse de Lisieux.

            Lors de la bénédiction de la basilique de Lisieux, l’Evêque de Bayeux et Lisieux, Monseigneur PICAUD, mentionne dans son homélie les trois sœurs Carmélites de Sainte Thérèse et il oublie complètement la quatrième sœur, Léonie, qui de plus suit en direct le discours à la radio en présence de sa Communauté de Visitandines. Pauvre Léonie, toujours dans l’ombre et oubliée.

            Elle ne nie pas que sa sensibilité en a été blessée :

            « Ne trouves-tu pas, écrit-elle à Pauline, que Monseigneur aurait dû dire un mot délicat pour la quatrième sœur qui était là si présente de cœur et d’âme ; cet oubli involontaire sans doute, m’a été très sensible, tu le comprends. »

            Mais aussitôt, sa charité désintéressée lui permet de tout accueillir, tout offrir et de ne pas perdre la paix. Elle se borne à ajouter :

            « Mère Agnès de Jésus (Pauline) en sera plus peinée que moi », et elle écrira peu après :

            « Ma Céline, chérie, par ta carte arrivée à point pour me consoler de l’oubli regrettable de Monseigneur notre Evêque, je vous ai senti toutes les trois auprès de moi, ce qui m’a été un baume délicieux sur la plaie qui s’est refermée aussitôt ».

 

            Ne pas se comparer, ne pas se décourager non plus. Une telle conversion n’est possible qu’en cultivant ardemment deux vertus : l’humilité et l’humour sur soi. Celles-ci sont tellement liées qu’elles ont en commun la même racine, le même « humus ».

            Il est facile de donner son amour une fois, mais il est admirable de donner son amour cent fois. 

            Il est beau de se relever après de nombreux échecs,  mais il est extraordinaire de se relever après de nombreux échecs avec le même abandon joyeux en Dieu. La vie spirituelle, c’est commencer et recommencer sans cesse.

            Le « 30 juin 1899, » Léonie fait sa prise d’habit et reçoit définitivement le nom de Sœur Françoise Thérèse, réalisant ainsi une prédilection de sa petite sœur Thérèse : « elle prendra mon nom et celui de Saint François de Sales. »  Notre Visitandine ne reçoit pas ce nom nouveau comme on recevrait un simple matricule, elle y voit le symbole d’une vie nouvelle :

            « Que votre petite Léonie au grand jour de ses fiançailles ne soit pas seulement changée de nom mais de tout ce qui peut déplaire à Celui qu’elle veut aimer uniquement. »

            Le 2 juillet 1900, Léonie  scelle sa démarche définitive en apposant de sa propre main les mots suivants :

            « Je, Françoise Thérèse MARTIN, ai par la grâce de Dieu, célébré mes vœux pour vivre et mourir en la Congrégation de Notre Dame de la Visitation. »

            Le lundi 16 juin 1941, notre Bien-aimée Léonie s’endort pour l’Éternité.

             Joël GUIBERT, « La faiblesse transfiguré »

          

Méditations Avent 2018 – Mardi 18 décembre 2018 – Noéline FOURNIER, Laïc