Cher Père Jacques,

 

Les fidèles de votre paroisse n’entendront plus de votre bouche la lecture de l’évangile. Aucun son ne sortira de votre bouche qui a pourtant proclamé l’évangile du Christ durant de nombreuses années. Pourtant, aujourd’hui encore, vous ne restez pas silencieux. L’évangile de ce dimanche résonne très fort dans le coeur de tous les chrétiens rassemblés pour l’eucharistie : « Cette nuit même, on va te redemander ta vie » (Lc 12, 20).

 

Père Jacques, cette Parole de Dieu a réellement pris chair en vous. Et maintenant que notre pays vit ce que les chrétiens d’Orient subissent depuis si longtemps, maintenant que nous sommes en guerre contre ceux qui refusent la Paix, je me pose ces questions : les prochains, ce seront nous, ce sera moi ?

Si cette nuit un fanatique approchait l’arme de la haine sur mon cou, aurai-je la même foi que vous ? La même espérance ? Le même amour ?

Père Jacques, aujourd’hui, ce n’est pas votre voix qui proclame l’évangile, mais c’est votre vie toute entière qui le crie. Votre témoignage de foi, d’espérance et d’amour retentit bien plus fort que le cri d’un agneau qu’on égorge. Oh non, vous n’êtes pas silencieux, et vous criez l’évangile de la Paix au monde entier :

 

  1. Par votre foi

Votre foi est un cri pour le monde.

Vous avez été tué à cause de votre foi dans le Dieu vivant. C’est ce Dieu de la vie qui vous a guidé toute votre vie, car nous partageons la même foi en Dieu qui aime la vie et qui la chante. Notre Dieu n’aime pas la mort, il ne se réjouit pas de la mort de l’homme, et d’aucun homme.

Vos bourreaux, eux, ont agi au nom d’un dieu qui aime la mort, et qui récompense ceux qui tuent en son nom.

Ils n’ont pas agi au nom d’une foi, mais au nom d’une idéologie : la foi n’est pas une idéologie. Soprano a peut-être raison lorsqu’il chante que le diable ne s’habille plus en Prada :

« Monsieur, les hommes d’aujourd’hui ont dépassé tous mes voeux

Certains exercent leur folie meurtrière au nom de Dieu

Le pétrole est une raison légitime pour mettre le feu

Certains pays rétrécissent, mais bon, restons silencieux ».

 

Aujourd’hui, parce que c’est au nom de votre foi en Jésus-Christ qui est la Vie que vous avez été tué, votre sang se mêle au sang du Christ pour féconder la terre et faire fleurir la foi dans les coeurs les plus endurcis. D’un prêtre vieux et quelconque, apprécié par vos paroissiens mais inconnu du monde, vous êtes devenu prêtre martyr.

 

  1. Par votre espérance

Votre espérance est un cri pour le monde.

Vous avez été tué à cause de votre espérance dans le Dieu de Vie. Ce Dieu, c’est Jésus-Christ que vous avez suivi toute votre vie, sur le chemin de l’espérance qui conduit à la Vie. Au bout du chemin, au bout de la vie, c’est Dieu qui promet la vie éternelle à tous les hommes et les femmes de bonne volonté, à tous ceux et toutes celles qui le cherchent. Oui, Dieu promet que la mort n’est pas la fin de l’histoire, mais le passage à la lumière qui ne s’éteint pas, à la vie qui ne finit pas.

Par le sacrifice de votre vie, vous avez déjà gagné la Vie, vous avez fait triompher la Vie. Et vous voyez déjà la victoire du Christ sur les puissances du mal et des ténèbres, vous qui maintenant êtes dans la Lumière.

Vous avez été tué par un jeune de 19 ans au moment même où s’ouvraient les Journées Mondiales de la Jeunesse en Pologne, réunissant des centaines de milliers de jeunes catholiques, espérance de l’Église et du monde. Cette jeunesse ne veut pas de la haine, elle croit encore que le dialogue est possible, ce dialogue qui vise la paix et la bonne entente des peuples. Le pape a invité les jeunes à se rebeller pour changer le monde, il leur a demandé de faire du bruit. Ceci n’est pas un appel à la guerre ou à la haine du monde. Les jeunes doivent se rebeller contre un monde qui les abruti, un monde relativiste où tout se vaut, un monde où plus rien ne différencie le bien du mal. Mais comment élever les intelligences d’une génération Pokemon Go ?

Comment repérer les vraies amitiés à l’heure des amitiés virtuelles de Facebook et des fausses rencontres de Tinder ?

(Toutes ces applis sont des armes de « distraction » massive).

Comment trouver des cadres structurants dans une société qui détruit la famille ? Soprano a peut-être raison lorsqu’il chante que les hommes font maintenant pire que le diable, ce diable qui constate que la télé et internet font pire que lui :

« La télé m’a volé l’éducation de leurs morveux

Internet brûle les neurones beaucoup plus que la beuh

L’Enfer n’est plus chez moi mais bel et bien chez vous ».

 

Nous devons lutter contre la misère intellectuelle et arrêter d’engendrer des décérébrés. L’islamisme est un prêt-à-penser, il ne peut pas se greffer sur des jeunes capables de penser. L’éducation doit donner aux enfants cette liberté de pouvoir penser. L’école doit vraiment former la jeunesse, transmettre un savoir, sans se substituer aux parents qui doivent tenir leurs enfants et leur donner un cadre et des valeurs, montrer ce qui est bien et ce qui est mal. La France ne doit pas avoir peur de transmettre l’héritage de son histoire. Nous avons besoin de retrouver ce que nous sommes, d’où nous venons, et les jeunes ont besoin de s’identifier aux grandes figures qui ont fait l’histoire : des saints, des génies, des héros.

Père Jacques, vous devenez l’une de ces figures dont les jeunes ont tant besoin, vous qui avez tout donné, dans la fidélité à votre sacerdoce, jusqu’au bout.

Voilà la mission de tous, transmettre aux générations futures ce qu’est la vraie fraternité, l’amour du prochain quelle que soit sa couleur de peau ou sa religion, l’accueil de la différence, et croire qu’un monde plus juste et plus fraternel est possible.

 

  1. Par votre amour

Votre amour est un cri pour le monde.

Vous vous êtes retrouvé brutalement allongé au pied de l’autel sur lequel vous célébriez la messe. 58 ans auparavant, vous étiez allongé de la même façon devant l’autel au jour de votre ordination, signe de consécration à Dieu pour toute une vie. Vous avez donné votre vie par amour, par amour de Dieu, par amour de l’Église et du Christ, et par amour de l’humanité.

Votre existence a eu du sens, votre mort en martyr donne un sens à toute votre vie.

Comment ne pas se souvenir de la lettre qu’écrivait le Père Christian de Chergé, moine de Tibhirine avant de subir le même sort que vous, c’était il y a 20 ans :

« S’il m’arrivait un jour – et ça pourrait être aujourd’hui – d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille, se souviennent que ma vie était DONNÉE à Dieu et à ce pays. (…) J’aimerais, le moment venu avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout coeur à qui m’aurait atteint. Je ne saurais souhaiter une telle mort ».

 

Parler de pardon et d’amour alors que le sentiment naturel est celui de la haine et de la vengeance, voilà la folie chrétienne ! Comme chrétiens, nous ne devons pas accepter cette soif si naturelle de vengeance, nous devons refuser les simplifications abusives, ce ne sont pas des options possibles.

 

Cher Père Jacques, comme le Père Christian de Chergé, vous aimiez la patience du dialogue avec celui qui est différent.

Le dialogue est la clé pour ne pas tomber dans la haine ou la vengeance, pas un dialogue silencieux et mou, mais un dialogue viril, fort, où l’on n’a pas peur d’aller dans la vérité.

Les musulmans sont des personnes à aimer, à rencontrer, et le dialogue rationnel doit être possible.

Nous voulons savoir ce qu’est vraiment l’Islam, et le moment n’est-il pas venu de faire une lecture historico-critique du Coran ?

Si un chrétien tue au nom de Dieu, alors il n’est plus un chrétien ; nous voulons savoir ce qu’il en est d’un musulman qui tue au nom de Dieu : est-il toujours musulman, oui ou non ? Il faut le crier au monde.

 

Des minutes de silence sont organisées partout en France, des marches blanches

comme à La Réunion avec le Groupe de dialogue interreligieux. Du silence, du silence, et encore du silence…

Père Jacques, votre dernier souffle a été silencieux. C’est votre vie toute donnée qui nous parle à présent. Mais vous, musulmans d’aujourd’hui, ce n’est pas de silence dont le monde a besoin. Nous attendons de vous un cri, un cri pour condamner ceux qui trahissent vos croyances, des actes pour arrêter ceux qui sont devenus fous, un cri qui nous assure qu’il n’y a aucune compromission avec le mal.

Le silence est bon pour la prière, pas pour le combat.

La gangrène islamiste doit être combattue, non par le silence, mais par une levée de tous les musulmans qui croient que leur religion est une religion de paix. Toutes les religions sont des religions de paix, si bien que la guerre actuelle n’est pas une guerre de religions, ce n’est pas la guerre des musulmans contre les chrétiens, mais ça doit être la guerre des chrétiens et des musulmans contre l’islamisme. Tous ensemble, mains dans la main, unis contre la haine, contre le mal, pour un monde de paix, plus juste, plus fraternel.

Père Jacques, que votre martyre vienne affermir notre amour du prochain et celui de nos ennemis.

Ainsi nous serons vainqueurs du mal par le bien.

Et si cette nuit on te redemandait ta vie ?

Père Jacques, priez pour nous.

 

Frère Thomas de Gabory

Dominicain, prêtre à la cathédrale de Saint-Denis de La Réunion

31.07.2016